Nuit de Pâques à Sofia, le 18 Avril 2009

Nov 08
2009

04Russina Church copyJe passais par l’église grecque, l’église russe et l’église Svéta Nédélia, je finissais mon tour par la cathédrale Alexandre Nevsky à trois heures du matin. Une bougie à la main, je rentrais chez moi.

58Paques09 copyAvant minuit, j’avais rencontré plusieurs personnes, en majorité jeunes. Elles parlaient bougies à la main et s’amusaient de cette originale façon de déambuler. Il n’y avait rien de religieux dans les gestes. Je pensais à Homo Ludens – L’Homme Joueur de Johan Hozinka. Tout peut être occasion  à s’amuser, tout dépend de l’époque! Près de chez moi un tzigane tout sourire me proposait les bougies à moitié prix. Les jeunes gens que je croisais, était emplis d’une gaieté insouciante, d’autres personnes portaient l’extase dans les yeux, à la recherche d’un salut dans l’au-delà, au-delà d’un monde insupportable dans lequel ils macèrent… Aujourd’hui la Bulgarie est à la recherche de son identité et connait des paradoxes extrêmes.

02AL. NevskyCette belle nuit de Pâques m’avait  projeté quarante ans plus tôt. La religion était non admise. Il était interdit aux jeunes, aux  étudiants de visiter les églises, mais je me souviens comment à l’époque j’arrivais à me faufiler entre les gardes, j’étais prêt à tout  pour savourer ces interdits, ces inconnus, me plonger dans l’atmosphère mystique de la nuit de Pascale. L’odeur des encens, des cires fondues, les fresques et les icônes dansantes comme des éblouissements excitaient mon imaginaire. Le risque de me voir sanctionné devenait secondaire. Le désir de goûter au défendu était  maitre.  Mon idée de Dieu très  peu clair à ce moment là était revigorée par les chants religieux  qui sonnaient dans l’extraordinaire acoustique de la cathédrale Alexandre Nevsky. 26Al. Nevsky 11 copyLes flammes dansantes sur les candélabres, si différentes du symbole de nos cravates rouges, m’invitaient à ce nouveau monde de spiritualité. Plus tard dans la nuit, sous l’influence de cette atmosphère magique je rentrais à la maison avec ma bougie, il fallait du courage pour demander une nouvelle flamme lorsque celle-ci s’éteignait: c’est  à une vieille personne pressée et attardée que je là demandais puis chacun se glissait dans les rues mal éclairées de Sofia. Nous avions échangé l’étincelle, sorte de dissidence non écrite, un signe que nous ne respections pas la direction officielle.

Au retour, je rencontrais mon grand-père à qui je baisais la main dans l’église des Sept Saints. A 85 ans, il attendait toujours la fin du service. Emotionné et redoublant de courage, je parcourais les rues tzar Boris et Néophyte Rylski, je cachais dans ma poitrine la flamme sacrée. Une fois rentré je soupirais solennellement, j’avais gagné la bataille.

Je m’étendais sur mon lit, je me débarrassais comme d’un vêtement de la crispation qui m’avait envahie et je posais la bougie. Sa flamme lâcha une danse sur le mur de la chambre. J’imaginais l’infini, une vraie vie, l’espoir de quelque chose d’autre. Malgré le contexte du vide effrayant, j’étais satisfait et mon cœur résonnait. La question brulante: “Pourquoi tout cela?”, celle-ci me poursuivait pendant des années. Peut on être à la fois plein et vide, au tout début je ne pouvais le définir. Ce que je cherchais, le mot liberté, esprit libre …, ces termes était étouffés par la terminologie communiste qui nous martelait avec ses doctrines.

27Al.Newsky8 copyCependant et pour cette raison, ces moments inoubliables se concentraient, m’aidaient à retrouver la sensation de  plénitude avec un élan insatisfait. Le mélange de l’impossible et du possible et ce qui en découle, la chance aidant était devenu le moteur de mon destin. Certains avaient essayé et leurs vies s’étaient terminées tragiquement. D’autres avaient perdu leurs personnalités et s’en étaient accommodés. La génération actuelle en paie les conséquences.

P.S.? Aprés avoir rédiger ce texte, le lendemain matin, dans  une librairie à Paris je trouve le dernier exemplaire du livre de Joseph Koudelka “Invasion à Prague 1968”, édition Thana. Koudelka est l’un des meilleurs photographes en France. Je contemple ces photos avec le même intérêt que les monuments de Rodchenko, Cartier Bresson … Encore une fois Koudelka m’a rendu à mes souvenirs de cette nuit de Pâques. Je me souviens lorsque les Russes envahissent Prague en 1968. Les bulgares aux cotés des frères russes “sauvaient”  la Tchécoslovaquie de “la décadence capitaliste”. Devant mes yeux ce livre de 296 pages, grand format avec des photos de ce maitre ébranle l’esprit, cette nation en quête de liberté. “La vérité est plus forte que la dictature “, “Nous ne voulons pas la Liberté russe “, “Jusqu’à hier, nos allies – maintenant nos assassins”, “Prolétaires de tous les pays – allez vous en!” – ces slogans et de nombreuses autres questions soulevées par la puissance de la photographie noir et blanc de Koudelka, vous font frissonner d’un part par l’art du photographe, et de l’autre par l’esprit des protagonistes.  C’était donc possible! Je me sens mal à l’aise, sans parler de la honte que je ressens, ce lion fier sur le drapeau bulgare s’anéantit. Il me reste  la flamme brûlante de la bougie, souvenir de cette “dissidence” à l’époque.

Please visit Photo Gallery of Ivan Pastoukhov
Contact form
Share to: